Daniel Guérin et la sexualité
Par
Laurent Muhlheisen laurentmuhleisen@wanadoo.fr
Daniel Guérin a toujours affirmé que se dissidence politique était née de sa
dissidence sexuelle, de la conscience d’appartenir à une minorité sexuelle
opprimée. Ce qui est certain, c’est que sa vie durant fut placée sous le
signe d’une consubstantialité entre ses "penchants sexuels" et son
"engagement révolutionnaire". Consubstantialité vécue, après une jeunesse
assez débridée dans le Paris des années 20, sur le mode de la scission
durant plus de 30 ans – car il n’était pas respectable d’être militant
révolutionnaire et homosexuel dans les milieux d’extrême gauche du milieu du
XXème siècle – avant d’aboutir à une réconciliation, à la faveur de l’explosion
sociale qui a suivi le mouvement de mai 68.
Mais Daniel Guérin n’a pas attendu 68, date où il déclare publiquement son
homosexualité, pour se lancer dans la lutte pour l’émancipation des
homosexuels, au même titre qu’il lutte contre toute forme d’oppression. Les
premiers ouvrages où il dénonce la répression dont sont victimes les
homosexuels datent des années 50 ; ce sont "Kinsey et la sexualité" (1955)
et "Shakespeare et Gide en correctionnelle ?" en 1959. Parallèlement, il
collabore, quasiment jusqu’à sa disparition en 1982, à la revue du très
respectable et sage mouvement "homophile" Arcadie, dont il s’éloignera pour
se lancer, dès 1971, dans le premier mouvement homosexuel radical français,
le FHAR (Front Homosexuel d’Action révolutionnaire).
Il n’aura de cesse de participer, dès le début des années 70 et jusqu’à la
fin de sa vie, à tous les mouvements qui lui paraîtront vouloir défendre
l’idée d’une synthèse entre homosexualité et révolution. Sa critique de la
récupération marchande et politicienne de l’homosexualité, à partir du début
des années 80, sera féroce.
L’engagement de Daniel Guérin en faveur de l’émancipation des homosexuels,
de sa propre émancipation en tant qu’homosexuel, a été lié aux avatars de
cette lutte au cours du XX. siècle, et notamment à la distance qui sépare
généralement l’homosexualité en tant que pratique privée de l’émergence
d’une revendication politique d’émancipation des homosexuels en tant que
groupe opprimé. Toujours est-il qu’il fut l’un des rares à formuler avec une
quinzaine d’années d’avance, conséquence de la radicalité et de la justesse
de ses analyses, la nécessaire libération de la sexualité dans le processus
de libération de la société, projet pour lequel il a lutté sa vie durant
sans faire de compromis.