Il est souvent affirmé que la pensée anarchiste se
construit dans l¹action
et la lutte plutôt que dans les livres. Néanmoins, la
plupart des
anthologies et des ouvrages historiques accordent une place
prépondérante
aux auteurs qui ont pu développer une pensée cohérente sur le
sujet et les
ont parfois élevés au rang de ³classiques². D¹une certaine
manière, la
distinction entre intellectuels et militants est arbitraire, tout
au moins
en ce qui concerne les milieux anarchisants: les premiers, tout
autant que
les seconds. Ils ont aussi connu l¹exil, la pauvreté, le rejet
dans la
marginalité, et ils ont aussi participé aux grands mouvements de leur
temps
contre la répression sous toutes ses formes. Néanmoins, les militants
de
l¹anarcho-syndicalisme, les vendeurs à la criée et les volontaires
des
luttes antifascistes, ceux qui s¹expriment par l¹action plutôt que
par
l¹écriture ont laissé moins de traces que les autres et leurs
analyses
risquent de disparaître avec eux.
L¹italien Camillo Berneri,
comme d¹autres militants de diverses origines,
représente essentiellement
l¹homme d¹action confronté aux défenseurs de la
pureté théorique.
Engagé dans la Guerre d¹Espagne, il refuse les compromis
mais il veut aussi
construire l¹anarchie avec les gens tels qu¹ils sont et
non tels qu¹ils
devraient être. D¹où une plume intarissable au service
d¹une
interrogation impertinente.
Le présent ouvrage, j'allais dire monument, a
le mérite de réfléchir sur ces
divers engagements, notamment dans
l'antifascisme, tout en laissant la
parole à Berneri. Rien n'y manque, pas
même l'humour, comme cette remarque à
propos des Parisiens: "A Paris tout
tend à devenir monument national: la
barbe du sergent de ville de la Porte
Saint-Martin, les jambes de
Mistinguett, Cécile Sorel toute entière, le
canotier de (Maurice) Chevalier
etc."
Mais il sait aussi voir le
million de "refoulés" de la Ville Lumière, les
sans abris qui dorment sous
les monuments dorés érigés à la gloire de la
liberté.
Bref, un livre
de chevet pour ceux qui lisent l'italien. Pour les autres, il
faut espérer
que la presse francophone ou anglophone présenteront de larges
extraits et
analyses, et ils peuvent toujours se reporter aux "Oeuvres
choisies" de
Camillo Berneri, publiées par les éditions du Monde libertaire.
Ronald
Creagh